Dans les montagnes sur la route des mille kasbahs

Dans les montagnes sur la route des mille kasbahs

A partir de Ouarzazate et jusqu’à Er Rachidia en passant par la vallée du Dadès et la vallée du Todra, nous entrons dans ce qui est communément appelé la « route des mille kasbahs ». Nous allons donc nous lancer dans la découverte des kasbahs, ces constructions typiques du sud marocain.

Mais au fait, c’est quoi, une kasbah ? 

A Rabat, la kasbah des Oudayas était un quartier de plusieurs habitations, entouré d’un mur d’enceinte. Dans le sud marocain, une kasbah est un bâtiment, le plus souvent carré avec une tour à chaque angle, aux murs en terre cuite, qui héberge une famille de notables. Elles se différencient des ksours (un ksar, des ksours) qui eux sont des villages fortifiés, qui peuvent contenir une ou plusieurs kasbahs. Les kasbahs sont anciennes et peuvent en effet exister depuis trois siècles. Elles témoignent de l’enrichissement d’une famille. Mais elle peut en héberger plusieurs et contenir des récoltes, même si ce sont plus souvent des greniers fortifiés qui sont utilisés à cet effet. Attention enfin : une confusion fréquente est d’appeler « kasbah » tout ce qui y ressemble ou toute habitation en terre crue.

Leur construction, comme celle des ksours, permettait aux sédentaires de se protéger des attaques des guerriers nomades. Mais dorénavant, de nombreuses kasbahs sont abandonnées suite au départ des habitants et sont dans un état de délabrement plus ou moins avancé.

Il y a de nombreuses kasbahs sur cette route, mais les touristes n’en voient que quelques-unes, souvent les mêmes. Bien sûr, il y a une raison à cela : les kasbahs célèbres sont bien souvent les plus grandes, les plus belles et surtout, les mieux conservées (bien que le potentiel touristique de certains sites n’empêche pas leur abandon…). Au fur et à mesure du trajet, nous verrons aussi des kasbahs moins célèbres.

Visiter la palmeraie de Skoura

Mon arrivée à Skoura

Imaginez une caravane de dromadaires dans le désert. Cela fait deux mois qu’ils ont quitté Tombouctou au Mali, ou d’autres villes du Mali ou de l’empire du Ghana. Deux mois dans le sable sous un soleil de plomb. Quand les dunes s’arrêtent enfin, le paysage révèle une étendue de cailloux. Un paysage tout aussi sec que les dunes. Et tout à coup, les caravaniers voient apparaître une étendue verte. Cette étendue verte, c’est la palmeraie de Skoura. 25 km où poussent quantité de palmiers dattiers, irrigués par un ingénieux système drainant l’eau des montagnes environnantes. Quel soulagement ils doivent éprouver ! Mais pour les marchandises, dont de l’or, le voyage continuait alors à dos de mules, guidées par des nomades montagnards, jusqu’à Fès…

Au XIIe siècle, le sultan Almohade Yacoub el-Mansour fonde la palmeraie de Skoura. Si son nom est d’origine berbère, ce sont maintenant majoritairement des arabes qui y habitent. Pour me rendre à Skoura, j’ai choisi de prendre un bus. Son départ, initialement prévu à 9h30, s’effectue à 10h. Le bus suit une route le long d’une vallée remplie de plantations de palmiers. Puis tout à coup, une kasbah émerge des arbres. Puis une deuxième, et une troisième. Il y en a plusieurs à l’entrée de Skoura. Et ce n’est que le début ! Le bus me dépose à la gare routière. Le trajet a duré entre une demi-heure et trois quarts d’heure.

Le temps de trouver un hôtel et de s’y installer, il est 11 heures. Ce qui me laisse largement le temps de découvrir la palmeraie ! Abdellatif, qui gère cet hôtel, parle très bien français et c’est agréable de pouvoir échanger avec quelqu’un. Je discute avec lui de mon itinéraire, ainsi que de ses vacances à Paris où il a trouvé les gens très pressés. Abdellatif est aussi guide et propose ses services pour visiter la région. Il me dessine sur un papier l’itinéraire à suivre pour rejoindre la kasbah Amridil et revenir à l’hôtel en faisant une boucle dans la palmeraie.

palmeraie de Skoura
La palmeraie de Skoura, ça peut être ça. Heureusement, il y a parfois plus de palmiers qu’ici !

La kasbah Amridil

De toutes les kasbahs de la palmeraie, la kasbah Amridil est la plus majestueuse. Loin d’être constituée uniquement de quatre murs formant un carré, elle dispose aussi de nombreuses tours et s’étend sur plusieurs dizaines de mètres. Cette kasbah du XVIIe siècle domine la palmeraie. Elle se tient fièrement de l’autre côté de l’oued, fierté ayant été galvanisée par sa présence sur les anciens billets de 50 dirhams. Et pour cause, c’est l’une des plus belles kasbahs du Maroc. De par sa taille, elle dispose de deux entrées, conduisant à deux visites. En réalité, la kasbah Amridil correspond à un ksar, dont la majeure partie, la plus ancienne, au nord, est en ruine. La kasbah principale date de deux siècles après le ksar.

Skoura kasbah Amridil
Droite ou gauche, là est la question…

Bien que toujours habitée, une grande partie du monument peut se visiter. Les tours un peu plus sombres se trouvant derrière la kasbah, à gauche, sont en fait celles d’un hôtel… Il ne semble pas y avoir de règles pour la protection des paysages et nous ne pouvons que le déplorer (et se réjouir que ce soit le cas en France !).

C’est de l’entrée gauche que vous accéderez à une terrasse d’où il est possible de voir la vue représentée sur les anciens billets de 50 dirhams. L’entrée de droite donne accès à la partie la plus haute, située dans la kasbah principale.

J’ai choisi de visiter la partie de gauche. On y trouve des objets utilisés dans la vie de tous les jours par les habitants de la palmeraie. Le jardin s’y trouvant rappelle les jardins de Marrakech.

jardin de la kasbah Amridil
Un petit jardin avec un peu d’ombre, ce n’est pas de refus dans cette palmeraie !
kasbah Amridil sur les anciens billets de 50 dirhams
La partie de la kasbah Amridil représentée sur les anciens billets de 50 dirhams !

Pour prendre des photos, il est préférable de s’y rendre le matin. En effet, la kasbah Amridil se retrouve vite à contre-jour.

L’entrée coûte 40 dirhams. Comptez donc 80 dirhams pour visiter l’ensemble de la kasbah Amridil.

Se promener dans Skoura

Une fois la kasbah Amridil visitée, il n’y a plus grand-chose de particulier à faire, si ce n’est se promener au hasard des chemins dans la palmeraie. Et rien que ça, ça vaut vraiment le coup ! De nombreuses kasbahs se trouvent dans la palmeraie au milieu des arbres, elles dépassent parfois des cimes des palmiers.

kasbah dans la palmeraie de Skoura
Une kasbah surgit de la palmeraie !

Apparemment, il faut suivre les flèches orange pour voir des khettaras, ces systèmes d’irrigation souterrains qui irriguent toute la palmeraie. J’en trouve une un peu au hasard. Alors que je marche sur une route à la lisière de la palmeraie, un touriste anglais accompagné de son guide me dépasse et s’arrête. C’est ainsi que je remarque des trous, révélant une khettara non utilisée.

khettara dans la palmeraie de Skoura
On passerait presque à côté sans deviner ce que c’est.

Les khettaras sont des canaux souterrains qui amènent l’eau des montagnes jusqu’en contrebas, dans la vallée. Les trous permettent leur entretien : notamment pour retirer les sédiments qui ont été déposés par l’eau tout au long de son trajet vers la vallée. Cette tâche est effectuée par toutes les familles bénéficiant de l’eau amenée par la khettara, ou par des personnes qu’elles financent si personne ne peut effectuer cette tâche.

En plus des flèches orange, il y a des flèches jaunes qui dessinent un itinéraire dans la palmeraie.

La palmeraie de Skoura est encore habitée et ses palmiers exploités. Mais en discutant avec des habitants, ils me disent penser que les gens vont progressivement quitter la palmeraie pour aller vivre dans les grandes villes. C’est d’ailleurs ce qu’a fait le père de l’une des personnes avec qui je discute, qui est parti travailler à Casablanca.

vue sur la palmeraie de Skoura
Les maisons des villages ressemblent à des kasbahs et se fondent dans le paysage. L’oued aussi, mais c’est plus simple quand l’eau ne coule pas !
boutique dans un village de la palmeraie de Skorua
Le vendeur était surpris que je prenne une photo, les touristes doivent d’habitude se concentrer sur les kasbahs ! Je trouvais cependant cette petite supérette représentative des villages que j’ai traversés. Ces petits magasins ont gardé à l’esprit l’ambiance caverne d’Ali Baba des magasins des médinas. Il faut dire qu’il doivent approvisionner les villages de campagne en toute sorte de produits !

Il y a également un mellah dans la palmeraie, et un cimetière juif. Je ne sais pas si c’est lui que j’ai vu, mais j’ai vu un cimetière entouré d’un long mur. Un village se trouvant à côté héberge encore des habitants. Je dois ensuite couper à travers la palmeraie pour retourner à l’hôtel. Ce sera finalement d’abord par la kasbah Amridil puis par la route menant à Skoura. Il commence à faire nuit, je ne peux donc pas photographier les kasbahs se trouvant près du bord de la route.

kasbah au coucher du soleil à Skoura
Le soleil se couche sur les kasbahs de Skoura, leur donnant cette couleur orangée.

Ce soir, je m’endors la tête dans les kasbahs !

La vallée de Sidi Flah

Ce n’était pas prévu au départ, mais pour mon deuxième jour passé à Skoura, je suis allé randonner dans la vallée de Sidi Flah. Abdellatif m’emmène au point de départ de la randonnée. Ici encore, je découvre un paysage décidément typique du sud marocain. Je parcours des montagnes rendues grises par la présence de cailloux noirs. Pas une seule tâche de verdure jusqu’à ce que j’arrive dans la vallée. Une petite étendue verte se trouve entre les montagnes. On ne sait pas trop ce qu’elle fait là… Dans ce paysage lunaire, il semblerait que le film en noir et blanc prenne quelques couleurs. Je traverse ce bosquet qui abrite plusieurs champs.

Sur le même chemin, mais en direction opposée, des femmes transportent des branches. J’entends des battements provenant d’un champ plus loin. Un agriculteur travaille la terre. Il bêche le sol de sa parcelle pour casser les blocs de terre et préparer le prochain semis. Il cultive le blé pour sa propre consommation, le partager avec les voisins et pour le vendre. Tous les travaux ne sont pas faits à la main. Les agriculteurs peuvent louer un tracteur le temps des récoltes.

vallée de Sidi Flah et oued Dadès
Des champs au milieu de ce paysage lunaire.
vue sur la vallée de Sidi Flah
Une vallée et tout autour, seulement des cailloux ! C’est impressionnant !

A la sortie de la plantation, je traverse un premier oued. Il faut retirer ses chaussures, mais le plus embêtant est surtout la fraîcheur de l’eau ! Si le soleil a commencé à chauffer l’atmosphère, si bien que le retire mon gilet et mon pull, il n’a pour l’instant aucun effet sur la température de l’eau. Il faut se diriger en face puis gravir les montagnes sur la gauche. Je progresse sur un chemin qui zigzague entre deux montagnes. La couleur noire des roches pourrait signifier qu’elles sont d’origine volcanique. Ce serait intéressant d’étudier la géomorphologie de la région ! Une fois arrivé au sommet de la montagne, le paysage est toujours le même. En face et à gauche, les cailloux s’étendent à perte de vue. Sauf qu’il n’y a là aucune tâche verte !

montagnes autour de la vallée de Sidi Flah
Sur le blog ThibaudVoyage, nous allons jusque sur la lune !
montagnes autour de la vallée de Sidi Flah

C’est à gauche qu’il faut descendre. Si la vue est très belle, je n’entends rien, à part les échos. Je les teste à plusieurs reprises à coup de « salam ». Soudain, on me répond. Non, ce n’est pas ma voix ! Un marocain, assis sur la montagne d’en face avec un collègue, a voulu me faire une petite blague, ou peut-être est-il juste poli. Je m’arrête un peu à la fin de la descente puis gravis une nouvelle montagne. De l’autre côté, je découvre une palmeraie avec deux villages. Il suffit de descendre et de suivre la route.

village dans la vallée de Sidi Flah
Derrière les montagnes, un village apparaît. Qui l’eût cru ?

J’entre dans un premier village. C’est l’heure du déjeuner, mais il n’y a aucun restaurant ni café. Juste une épicerie, quelque-part dans le village. Faut-il encore que je la trouve ! Il n’y a pas grand monde dans les rues, seulement quelques passants et deux enfants jouant avec des avions en papier. Si j’avais une feuille, je pourrais lancer ma compagnie aérienne concurrente de la leur… Je longe un deuxième oued et passe devant le mausolée de Sidi Flah. Sidi est un titre honorifique, utilisé ici pour désigner un marabout. Un marabout est une sorte de saint en Islam. Il y a de nombreux mausolées de marabouts au Maroc, qui peuvent faire l’objet d’offrandes, de pèlerinages ou être associés à des légendes locales. La route longe l’oued Dadès qui alimente la vallée en eau et permet de faire pousser des cultures salvatrices.

vallée de Sidi Flah et oued Dadès
Nous retrouverons cet oued, le Dadès, dans le prochain article.
village dans la vallée de Sidi Flah
Repérons les kasbahs au milieu des habitations en béton.
kasbah dans un village de la vallée de Sidi Flah.
Ici aussi, les kasbahs surgissent des arbres. La différence de couleur entre les murs et les tours suggère que celle-ci est entretenue et n’est donc pas abandonnée.

Plusieurs kasbahs se trouvent dans le village, dans un état de délabrement assez avancé pour certaines. Je trouve l’épicerie, tenue par l’imam local. Il n’y a pas de pain pour le sandwich mais tout le nécessaire pour la garniture : anchois, fromage, sauce, chips… Je pense d’abord acheter quelque-chose à troquer contre du pain, ce serait amusant. Mais le vendeur me fournit le pain de sa maison. J’échange avec lui pendant la préparation du sandwich et complète mes connaissances de ces villages. Autrefois dans ce village, tous les villageois vivaient ensemble dans les kasbahs de ce village. Une kasbah hébergeait plusieurs familles. Maintenant, avec l’augmentation de la population, les familles se sont réparties en deux villages. Les arabes vivent dans ce village tandis que les berbères habitent dans l’autre village.

Je pars manger mon gros sandwich au pied du mur d’une kasbah. Je suis surpris par les nouveaux habitants de cette dernière. Ce sont deux chats qui se faufilent pour attraper d’abord un morceau de sardine, qu’ils prennent soin de débarrasser des fourmis, puis des morceaux de pain tombés au sol. Plusieurs enfants parcourent le chemin, rentrant de l’école. D’autres, déjà chez eux, me saluent en français. Je me prépare à continuer ma promenade et je prends soin d’emporter mon sac de déchets avec moi, un réflexe qui ne semble pas l’habitude dans ces contrées…

kasbahs dans un village de la vallée de Sidi Flah
A plusieurs endroits dans le village, des kasbahs se dressent sur les collines.

Je commence par observer de près les kasbahs. De loin, les deux hautes tours laissaient supposer une belle kasbah se dressant fièrement au-dessus de la palmeraie. Mais de près, à l’arrière, je découvre une ossature brisée, quelques morceaux de murs à terre et un sous-sol recevant les débris des étages supérieurs. Malgré ça, il semblerait que la kasbah soit encore en partie utilisée pour du stockage.

intérieur d'une kasbah dans la vallée de Sidi Flah
L’intérieur de la kasbah, ou l’envers du décor.

Je descends vers la palmeraie pour prendre le chemin du retour. La descente est ardue et l’accès à la palmeraie nécessite un grand saut au-dessus du cours d’eau d’irrigation.

Un enfant espiègle lance des cailloux… Une habitante travaillant dans un champ sous les palmiers lui demande de cesser ses mauvaises blagues. Elle me guide vers l’autre côté de la palmeraie. De par son discours, elle témoigne de la mutation des foyers, que j’ai commencé à décrire plus tôt. Les habitants délaissent les kasbahs, et choisissent un nouveau mode de vie : des habitations plus grandes n’étant plus occupées par plusieurs familles, ni même par plusieurs membres d’une famille. Les habitations s’occidentalisent et les liens familiaux se distendent, même dans ces petits villages. Il faut dire qu’ici aussi, les habitants rêvent d’ailleurs et ailleurs, c’est souvent les grandes villes !

Cette femme reste au village car elle n’a pas les moyens de vivre en ville. Par contre, son fils aîné étant devenu militaire, la famille a connu une hausse de revenus qui a permis de scolariser les deux plus jeunes enfants. Les enfants plus âgés n’ont pas de perspective pour le futur. Peut-être des formations de tissage pour les personnes n’ayant pas eu de diplôme, mais ces formations se déroulant dans des villes comme Ouarzazate, il n’est pas sûr qu’elles puissent y loger un jour. Il faut dire que la mère n’est jamais sortie de son village ! A propos de son village, elle dénonce les problèmes de corruption, certains élus détournant l’argent de la commune pour leurs propres bénéfices, au détriment des villageois et des infrastructures d’irrigation par exemple.

Sous les palmiers, les champs de blé sont maintenant plantés de luzerne. Il n’y a pas d’oliviers ici, le sol étant trop aride. Les champs produisent en revanche du blé pour la consommation des foyers et de la revente. Je traverse le deuxième oued, plus large. Il ne me reste qu’à gravir une dernière côte jusqu’aux antennes, d’où je bénéficie d’une vue sur toute la vallée, que ce soit celle avec les villages ou celle où je suis arrivé. Après une petite pause, je descends et rejoins mon point de départ. Les transports scolaires sont passés et les conducteurs viennent de Skoura. Trouver un transport pour revenir à Skoura s’annonce plus compliqué que prévu. Alors que je m’apprête à appeler Abdellatif, un conducteur accepte de me prendre en stop jusqu’en ville. Agréable retour dans une voiture où la radio diffuse des chansons berbères !

Dernier jour à Skoura

Il n’y a malheureusement pas grand-chose à dire sur ma troisième et dernière journée à Skoura. Je suis tombé malade et c’est tout juste si j’ai pu me rendre devant la kasbah Amridil pour prendre des photos le matin. A 9h45, elle n’est pas encore à contre-jour.

la kasbah amridil
La kasbah Amridil, des parties les plus anciennes à la plus récente. Je vous laisse chercher l’hôtel. Ainsi que la kasbah principale, car ne serions-nous pas devant un ksar ?

Je discute un peu avec quelqu’un se disant guide. Les touristes sont petit à petit de retour dans la palmeraie. Je prends des photos de la kasbah et suis interpelé par un homme. Je n’ai pas vraiment compris ce qu’il faisait, mais nous allons voir un marabout. Nous parlons un peu d’agriculture en chemin : une maladie frappe les palmiers, dont les troncs deviennent noirs, et la sécheresse touche la palmeraie. Ils plantent des fèves ou du blé dans les parcelles mais le sol est si sec qu’ils ne pourront pas planter grand-chose cette année. C’est le patron de l’hôtel d’à côté qui a apporté le financement pour terminer la maison du marabout. Cependant, ce dernier n’est pas présent ou pas disposé à nous ouvrir.

demeure d'un marabout à Skoura
La demeure du marabout, à la lisière de la palmeraie. Et autour, les restes d’une ancienne habitation.

Avant de partir pour notre prochaine destination, je voudrais évoquer un nombre : cinq millions. C’est le nombre de palmiers dattiers au Maroc (approximativement, je n’ai pas été les compter !). C’est beaucoup, mais il faut savoir que le palmier dattier dispose d’une aide précieuse pour sa survie : celle de nous autres, les humains. En effet, contrairement à ce qu’on pourrait penser, un palmier dattier n’aime pas la sécheresse. Et pourtant, on en trouve dans le désert. Ça paraît un peu problématique, non ?

En fait, le palmier dattier dispose d’un large réseau de racines pour pomper les centaines de litres d’eau qu’il doit consommer de façon journalière. Entre 300 et 700 litres ! Ses palmes lui permettent également de capter l’humidité présente dans l’air. Il vit dans le désert, mais près des oasis et des oueds. De plus, il peut compter sur l’eau apportée par les réseaux d’irrigation construits depuis des siècles par les agriculteurs locaux.

Les humains l’aident également dans sa reproduction. En effet, le palmier dattier se reproduit majoritairement de façon asexuée. Comme de nombreuses plantes, il est capable de faire des rejets, des petites pousses qui vont faire pousser un arbre non loin du plant parent. Un nouvel arbre, mais avec les mêmes gênes. Le palmier dattier peut également se reproduire de façon sexuée. Mais il y a cinquante fois plus de femelles que de mâles, autant dire que ça ne facilite pas cette méthode de reproduction. C’est là que les agriculteurs interviennent et leur donnent un coup de pouce : ils lient les feuilles des arbres mâles sur celles des femelles afin de favoriser la reproduction sexuée. Cette méthode de reproduction permet la production des dattes, mais aussi un mélange des gènes des arbres. C’est ainsi qu’on va pouvoir faire apparaître des variétés plus performantes, moins gourmandes en eau, pour les sélectionner.

Un arbre produit entre trente et cent kilogrammes de dattes et peut vivre jusqu’à deux siècles ! Et cette production se fait grâce à l’ensoleillement. Dans le désert, il n’y a pas de soucis à ce niveau-là !  Mais les dattes ne constituent pas leur seule production, puisque leur tronc peut permettre d’obtenir de la charpente et leurs palmes peuvent être utilisées dans les toits ou comme combustible pour le chauffage. Les agriculteurs profitent de l’ombre créée par les palmiers pour leurs cultures de céréales, des cultures maraîchères…

Mais tout n’est pas rose pour le palmier dattier ! Depuis quelques temps, le bayoud, un champignon, s’introduit dans le tronc de l’arbre. En un an, il provoque la mort de l’arbre et contamine ses voisins. C’est une vraie catastrophe pour les paysans marocains, qui ont perdu les deux tiers de leurs palmeraies ! Cette diminution drastique des surfaces de plantation de palmiers a porté un coup dur aux revenus des agriculteurs de régions entières. La disparition des palmiers favorise l’avancée du désert, la pénétration du sable et de la chaleur, néfaste pour les plantes poussant normalement sous les palmiers, dont la densité s’est fortement réduite. Cela s’ajoute aux problèmes de manque d’eau qui deviendront plus fréquents avec le temps.

Désormais, les espoirs reposent sur l’INRAE, l’Institut National de Recherches et Agronomie et en Environnement. C’est un organisme de recherche français qui travaille en collaboration avec le Maroc pour développer des variétés de palmiers dattiers résistant à cette maladie. Cette solution serait plus pérenne que l’utilisation de produits nocifs pour l’environnement. D’autres recherches sont menées pour mieux comprendre le palmier dattier et en améliorer le rendement.

des parcelles sous les oliviers de la palmeraie de Skoura
Des parcelles sous les oliviers de la palmeraie de Skoura.

La vallée des roses

A 50 km de Skoura, j’arrive à Kelaa M’Gouna. On le remarque vite en se promenant en ville : ici, on voit la vie en rose. Ou plutôt, en roses ! Parfum, savon, shampoing… Tout est à la rose ! Même les taxis. Dans les années 30, les français amènent ici des roses de Damas. A moins que ce soient des pèlerins revenant de la Mecque au XIe siècle. Quoi qu’il en soit, les roses vont s’y plaire et désormais, on cultive ici des rosiers.

En novembre, les rosiers se fondent dans le paysage. Mais au mois de mai, les abords des parcelles se colorent de milliers de fleurs. Les paysannes récoltent alors quatre mille tonnes de roses. On ne dirait pas, mais il y en a un sacré paquet ! Et avec 5 tonnes de ces roses, on va pouvoir obtenir un kilogramme d’eau de rose seulement ! Il existe deux usines de distillation dans la région, qui extraient l’eau de rose. Il est également possible d’obtenir une substance solide, qui pourra être exportée, en France, à Grasse, par exemple.

J’ai visité un petit village au nord de Kelaa M’Gouna. Et comme je n’avais initialement pas prévu de m’y arrêter, j’y suis allé depuis Boumalne-Dadès.

La promenade consiste à marcher le long de l’oued en revenant sur nos pas, depuis le village de Boutaghrar. Je rencontre le propriétaire d’une kasbah, qui me la fait visiter. La kasbah est composée de trois étages et d’une terrasse sur le toit. Ça fait trois cent ans qu’elle a été construite par les fils d’une certaine Aïcha, d’où son nom : Aït Aïcha. Précisons que “aït” est un mot utilisé pour marquer un lien de filiation chez les peuples berbères, ou une appartenance à une même tribu. C’est pour cela qu’on retrouve souvent ce mot, dans les noms de kasbahs, ou les cartes historiques qui montrent les peuples vivant dans une région du Maroc.

Après cet aparté, revenons à la visite de la kasbah. Elle nécessite un entretien régulier, puisqu’il reconstruit ou consolide quelque-chose tous les ans. Il semble l’utiliser pour stocker des productions agricoles. Il a travaillé à plusieurs endroits au Maroc dans le commerce et produit maintenant des cultures telles que le blé, du pain et du miel.

village de Boutaghrar dans la vallée des roses.
Le village de Boutaghrar dans la vallée des roses.

Une fois la visite terminée, je fais demi-tour. Je passe dans de petites ruelles et croise deux personnes à dos d’âne et des enfants avec leur mère dans la cour de leur maison. L’âne est encore fréquemment utilisé au Maroc pour le déplacement de marchandises ou de produits agricoles par exemple. Les ruelles débouchant sur la route principale où se trouvent les boutiques et hôtels ne font que quelques dizaines – au plus centaines – de mètres de long. J’arrive donc rapidement sur les chemins situés entre les parcelles cultivées, à l’ombre des arbres. L’oued est trop large pour qu’on puisse le traverser à pied et le débit est plus fort que ceux que j’ai vus jusque-là. Mais pas de problème : je ne suis qu’à quelques mètres de la route qui passe par-dessus l’oued.

oued traversant la vallée des roses

La vue principale sur l’oued se trouve ici, à quelques mètres du village, à l’intersection entre deux oueds descendant des montagnes. C’est donc une vue sur deux oueds ! Leurs rives ne sont pas artificialisées. Sur le bord, des femmes y font la lessive. En route, plusieurs enfants me réclament soit des stylos, soit des dirhams. Un petit garçon me suit et me regarde avec insistance pendant plusieurs minutes. Ils auraient l’habitude des rallyes distribuant des stylos et autres fournitures. Un habitant du village m’a parlé de gorges, mais elles se trouveraient à trois heures de route. Il y a en effet plusieurs randonnées possibles dans le secteur. Ce sera pour un prochain voyage ! Pour cette journée, je me contente donc d’admirer le paysage, avec cet oued et ses cultures.

vallée des roses
A défaut du rose des fleurs, admirons la couleur atypique des montagnes entourant la vallée !
vallée des roses au Maroc
Peut-être les roses ont-elles déteint sur la montagne ?

Au retour, je fais de l’autostop jusqu’à Kelaa M’Gouna. Je suis avec un touriste tunisien, et pour l’anecdote, il se trouve que nous ne sommes pas les seuls à payer des prix spéciaux pour les touristes. Lui aussi, alors qu’il est pourtant arabe, parle arabe et a plutôt une apparence arabe, paie plus cher les produits dans la médina ou les taxis !

Pour ceux voulant se rendre à Kelaa M’Gouna depuis Aït Arbi, voici quelques informations pratiques :

TrajetPrixDurée
Aït Arbi – Boumalne Dadès8DH30 minutes
Boumalne Dadès – Kelaa M’Gouna8DH30 minutes
Kelaa M’Gouna – Boutaghrar10DH1h

Boutaghrar se trouve à 30 kilomètres de Kelaa M’Gouna. Ce n’est que sept kilomètres de plus que la distance entre Kelaa M’Gouna et Boumalne Dadès. Le minibus est seulement plus lent, ce qui explique que le dernier trajet dure deux fois plus longtemps !

Le mot de la fin

Skoura, la vallée de Sidi Flah, la vallée des roses… Tous ces sites permettent déjà d’avoir un bon aperçu des kasbahs du sud marocain. Mais à chaque fois, le paysage et ce qu’il y a à voir est différent. Skoura permet la découverte de la culture du dattier et des systèmes d’irrigation des palmeraies tandis que la vallée des roses permet celle d’autres cultures et d’autres couleurs, quand c’est la saison (en mai). La vallée de Sidi Flah offre quant à elle aussi une possibilité de randonnée intéressante.

Ainsi, on découvre le sud marocain dans toute sa splendeur, et ce n’est pas fini ! Dans le prochain article, nous continuerons avec des gorges, une palmeraie et d’autres villages en pisé.

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2 réflexions sur « Dans les montagnes sur la route des mille kasbahs »

  1. Merci pour cette présentation et ce parcours agréable, il y a une vingtaine d’années en plein cœur de l’hiver, en févrierj’ai parcouru la vallée de Tades et j’en ai un souvenir impérissable, je n’y suis jamais retournée pour multiples raisons mais combien j’aimerai pouvoir le refaire !

    1. En plein cœur de l’hiver, peut-être avez-vous vu de la neige, ce qui a dû donner une toute autre ambiance ! La vallée du Dadès est l’une de mes étapes préférées du voyage. L’article arrive bientôt !
      Je vous souhaite de pouvoir y retourner !

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