Découvrir Tanger la ville du nord aux portes de l’Europe
Depuis Rabat, le train (à grande vitesse ou non) permet de se rendre à Tanger, grande ville du Nord du Maroc. A l’origine, je comptais d’abord me rendre à Asilah et Larache, mais j’ai préféré plonger dans l’agitation des villes avant de me détendre sur les plages.
Contrairement à Marrakech, connu pour être l’eldorado des touristes au Maroc, Tanger m’apparaissait plus comme une grande ville très urbaine où les industries modernes ont pris le pas sur les petits ateliers de la médina et les monuments. Cependant, je me souviens avoir lu l’importance de la ville dans la diplomatie et l’ouverture sur le monde lors de la rédaction de mon article sur l’histoire du Maroc. Cela a forcément laissé des traces dans la ville, au moins dans la médina. Je me suis donc réservé une journée pour visiter Tanger. Découvrons maintenant ce qu’il y a à voir dans cette ville, coincée entre mer Méditerranée et océan Atlantique.
Un peu d’histoire
Une succession de conquêtes
Durant l’Antiquité, le site de Tanger est occupé par les Phéniciens puis les Carthaginois. A la chute de Carthage, la ville est incluse dans le royaume de Maurétanie et devient le chef-lieu de la province romaine de Maurétanie tingitane. Au Ve siècle, les Vandales s’installent dans la région, qui est conquise par l’Empire byzantin au siècle suivant. Au VIIIe siècle, les arabes envahissent le Maroc et Tanger sert de point de départ pour leur expédition vers l’Espagne.
Tanger, étant située à la frontière du Maroc et de l’Espagne, est au cœur des rivalités entre la dynastie des Idrissides, de Fès, et celle des Omeyyades de Cordoue, qui avaient été chassés du califat de Damas par les Abbassides. Ce sont ensuite différentes tribus, puis les Almoravides en 1075, les Almohades en 1149 et les Mérinides en 1274, qui en prennent le contrôle.
En 1471, les Portugais s’emparent de Tanger, en pleine extension de la Reconquista sur les côtes marocaines. En 1661, Tanger constitue la dot apportée par Catherine de Bragance lors de son mariage avec le roi anglais Charles II. Mais en 1679, le nouveau sultan du Maroc, de la dynastie des Alaouites, Moulay Ismaïl, assiège la ville. Jugée comme coûteuse et inutile, Tanger est abandonnée par les anglais deux ans plus tard.
Une ville au centre de la diplomatie
Au XVIIIe siècle, Tanger devient le siège des représentations diplomatiques étrangères. Le premier consulat des Etats-Unis dans le monde y ouvre en 1821. En 1844, la ville est bombardée, comme Essaouira, en représailles du soutien marocain à l’algérien Abd el-Kader. Les européens envoient de nombreuses missions diplomatiques vers Tanger, qui sera en 1905 au centre de la crise de Tanger : l’empereur allemand Guillaume II débarque à Tanger et dénonce les visées françaises et espagnoles sur le pays. Alors que les tensions sont calmées avec le traité d’Algésiras l’année suivante, et que la France et l’Espagne établissent leurs protectorat sur le Maroc en 1912, Tanger devient une zone internationale en 1923.
Le statut international de Tanger en fait une ville ou les diplomates se pressent et où les espions vadrouillent discrètement. La ville est dirigée par une administration regroupant les représentants de huit pays. Brièvement occupée par les Espagnols durant la Seconde Guerre Mondiale, elle récupère son statut en 1945. C’est à Tanger que le sultan Mohammed V prononce son premier discours pour l’indépendance du Maroc. En 1956, Tanger est rattachée au Maroc, après l’indépendance du pays, le 11 avril 1947. Quatre ans plus tard, elle perd ses avantages fiscaux. Cependant, une zone franche est instituée dans le port de Tanger, afin d’éviter une fuite des capitaux.
Que faire à Tanger ?
Visiter la médina
La médina de Tanger se situe au nord de la ville, et occupe le versant d’une colline. Nous pouvons dire qu’elle se compose en trois parties, ce qui n’est qu’un découpage pratique, pour la présentation de cet article. Au sud-est, une partie autour de la Légation Américaine, à l’ouest, une partie plus animée, et la kasbah au nord.
Divers édifice religieux dans la rue Siaghine
On trouve dans la rue Siaghine, en plus des bijouteries, deux synagogues (la synagogue Moshe Nahon et la synagogue Rabbi Abika) et l’église de l’Immaculé Conception, la plus grande de la médina. Bien visibles sur Google Maps, je les ai ratées lors de ma visite ! Peut-être ne suis-je tout simplement pas passé dans cette rue. Mais je retiens qu’il peut être une bonne idée de parcourir Google Maps (ou autre service similaire) avant les visites, afin de faire du repérage !
Du petit Socco à la Kasbah de Tanger
La place du Petit Socco, du petit souk, est entourée de boutiques d’artisanat local. Animée, on y trouve de nombreux cafés, déjà très fréquentés à la fin du XIXe siècle. Il fallait bien que le personnel administratif des différents pays contrôlant la ville fassent un peu la fête. Tout comme de nombreuses autres personnes aux professions diverses, tantôt diplomates, espions, aventuriers, artistes… Le café Tingis a conservé une façade d’époque (XXe siècle). En 1950, le centre des affaires est déplacé dans la ville nouvelle. Il faut dire qu’on est un peu à l’étroit dans la médina, bien que cette rue soit l’une des plus larges que l’on y trouve.
Tingis est le nom du comptoir fondé par les Carthaginois dans la première moitié du Ve siècle avant J.-C.
La rue de la Marine mène à un quai spacieux. En chemin, nous passons devant la Grande Mosquée de Tanger. Il y avait d’abord un temple romain en ce lieu, puis on construisit une mosquée. Lorsque les Portugais prirent le contrôle de Tanger, ils transformèrent la mosquée en église. Les Anglais la laissèrent en l’état, puis Moulay Ismaïl la remplace par une mosquée. Mais pas n’importe quelle mosquée. Puisque c’est ici que le roi Mohammed V vint présider la prière après son discours historique du 11 avril 1947.
La kasbah de Tanger
Un moyen simple de se rendre à la kasbah de Tanger est de suivre les rues en pente ascendante. En effet, la kasbah de Tanger se trouve sur le point culminant de la médina. Cela permet d’avoir un beau point de vue sur la mer.
Plusieurs portes entourent la place de la kasbah (Bab Bhar, Bab el-Assa). Pour en voir les remparts, essentiellement construits par les Portugais, il est possible d’en faire le tour à l’intérieur, ainsi que de descendre par un chemin côté mer. On rejoint ainsi la place entre le port et l’hôtel Continental.
Entre la mer et la kasbah
Comme je le disais à l’instant, il est possible de longer les remparts de l’extérieur, en descendant sur un chemin, face à la mer. On en profite pour remarquer les canons dirigés vers celle-ci. On continue à droite. Face au port, l’hôtel Continental était déjà en service à la fin du XIXe siècle.
Si vous préférez, après la descente, tournez à gauche, vous pourrez rejoindre les tombeaux phéniciens. Ces tombes datant du Ve siècle avant J.-C. ont été utilisées jusqu’au siècle suivant, par les phéniciens, mais aussi plus tard par les romains. Plus loin, il est possible de faire une pause et de boire un thé au café Hafa, qui offre depuis 1921 une belle vue sur le détroit de Gibraltar. Enfin, la vue est bien sûr plus ancienne, mais il fallait auparavant amener son propre thé. C’est du bol que quelqu’un ait décidé d’ouvrir un café ici !
En marchant encore un peu, on arrive devant le palais du Mendoub, le représentant du sultan auprès de la communauté internationale qui régissait Tanger. En 1970, le milliardaire Malcolm Forbes racheta le palais et l’agrandit au détriment du voisinage.
Vous connaissez sûrement le classement Forbes des fortunes mondiales ? C’est le journal Forbes qui le publie, dont le directeur était Malcolm Forbes. Ce ne sont pas moins de huit cent personnes qui ont participé à son soixante-dixième anniversaire, qui a eu lieu dans sa propriété Tangéroise.
Les musées de la médina
Le musée de la Kasbah et des cultures méditerranéennes
L’ancien palais des sultans, construit au XVIIIe siècle et agrandi au siècle suivant, est maintenant un musée consacré à l’histoire de Tanger et de sa région. On y trouve par exemple des cartes anciennes ou une mosaïque provenant de Volubilis. Le nom est donc un peu trompeur, car le sujet est plus réduit que le nom le laisse penser. L’avantage de mettre un musée dans un palais, c’est que l’architecture luxueuse du bâtiment est en elle-même une pièce maîtresse du musée. Les patios sont donc décorés dans un style traditionnel marocain et il y a un jardin andalou.
La Légation américaine
En 1821, le sultan Moulay Slimane offre ce bâtiment aux Etats-Unis, qui l’utilisent pour y installer les bureaux de la Légation américaine, ce qui est leur premier établissement à l’étranger. En 1962, le bâtiment devient un consulat américain, et est transformé en musée en 1977. Le musée est un curieux mélange d’architecture marocaine au mobilier européen du début du XXe siècle. Il présente différentes gravures, peintures, dessins, etc. de cette époque.
En 1776, le Maroc est le premier Etat à reconnaître l’indépendance des Etats-Unis !
Le musée de la Fondation Lorin
Le musée de la Fondation Lorin se trouve dans une ancienne synagogue de la médina. Il présente des photographies et autres documents à propos de la vie mondaine et culturelle à Tanger au cours de la première moitié du XXe siècle.
Préparer son itinéraire dans la médina
Plusieurs itinéraires sont présentés sur des panneaux et indiquent les lieux à voir. La route est cependant plus ou moins bien balisée… Mieux vaut emporter une photographie des panneaux avec soi et se préparer à demander son chemin !
Une promenade complète, incluant les différents itinéraires, peut débuter par la kasbah (il y a un itinéraire faisant le tour de la kasbah), puis continuer en descendant dans la médina, visiter la partie autour de la Légation américaine puis sortir au niveau du grand Socco. On visite alors les alentours de celui-ci puis on remonte vers la kasbah, par la rue d’Italie et la rue de la Kasbah. Enfin, on entre dans la kasbah par la porte de la kasbah et on descend vers la plage. Il ne nous reste qu’à tourner à gauche, pour voir les tombeaux phéniciens et le café Hafa, ou à droite pour voir la place face à l’hôtel Continental.
La médina des artistes
Lors de vos promenades dans la médina de Tanger, il est probable que vous passiez devant des bâtiments peints par des artistes. Ils sont en effet nombreux à avoir fait un séjour à Tanger. Le peintre français Eugène Delacroix faisait partie en 1831 d’une mission diplomatique au Maroc, d’où il ramena plusieurs esquisses et croquis dont il se servit pour peindre plusieurs de ses tableaux. Ce voyage marque le style du peintre, qui en revient teinté d’orientalisme, avec ses multiples couleurs (visibles par exemple dans le tableau Héliodore chassé du temple, réalisé en 1860 et se trouvant dans l’église Saint-Sulpice à Paris). Il peint environ quatre-vingt tableaux sur des thèmes orientaux, directement inspirés de son voyage.
Plus tard, des artistes tels qu’Henri Matisse séjournent à Tanger et peignent les rues et les bâtiments. Matisse séjourne à Tanger entre 1912 et 1913, peignant les rues, certains bâtiments ainsi que ses habitants. Par exemple, il a peint le tombeau d’un marabout dans la médina. Aucun panneau ne l’indique, mais le vendeur de souvenirs vous l’indiquera, tout en vous présentant ce qu’il a à vendre. Il a aussi peint une vue sur la baie de Tanger. Le Maroc continuera à inspirer certaines de ses œuvres.
On pense aussi à Jacques Majorelle, qui s’installa à Marrakech en 1932 et dont le jardin peut se visiter. Il réalisa plusieurs tableaux représentant le Maroc, tableaux qui étaient ensuite utilisés pour faire la promotion touristique du pays.
Plus généralement, l’art peut faire partie intégrante d’une visite de Tanger, avec la découverte du musée des Beaux-Arts de Tanger ou la galerie Delacroix, une dépendance de l’Institut français de Tanger qui promeut l’art et les artistes de la ville.
Sortir de la médina
La rue d’Italie et la rue de la Kasbah
La rue d’Italie, prolongée par la rue de la Kasbah, relie le Grand Socco à la Kasbah de Tanger. Elle est en forte pente ! Mais c’est surtout pour ses bâtiments espagnols et les vues sur les murailles de la médina que parcourir cette rue est intéressant. Il y a aussi un bâtiment correspondant aux anciens bureaux du télégraphe anglais. Comme quoi, de nombreux pays ont laissé leur trace à Tanger !
Le grand Socco
Le grand Socco est, comme son nom l’indique, un grand souk. Un grand marché donc. J’ai visité Tanger un jour où il n’y avait pas de marché, alors cette vocation de la place était difficile à deviner ! La place est aussi appelée place du 7 avril 1947, le jour du discours dans lequel le futur roi Mohammed V réclamait l’indépendance du Maroc. Le cinéma Rif, avec sa façade Art déco, abrite la cinémathèque de Tanger, où les films récents côtoient les films marocains et les classiques.
Le marché a lieu les jeudis et dimanches.
Autour de la place, on peut voir plusieurs choses. Du côté de la médina, deux portes : Bab Rahbat Zraa et Bab Al-Fahs. Pour les trouver, pas d’inquiétude : elles sont indiquées sur le panneau présentant un itinéraire de visite. De l’autre côté de la place, la mosquée Sidi Bouabid et derrière elle l’église anglicane Saint André. Lors de ma visite, des travaux en empêchaient l’accès. Seul le clocher émergeait des arbres !
Le parc de la Mendoubia est un grand jardin où on trouve plusieurs essences d’arbres. Le bâtiment abrite désormais un musée composé de nombreuses images concernant la Mémoire historique de la résistance et de la libération de Tanger, ainsi que de la présentation des sultans les plus récents. L’entrée est gratuite et la visite assez rapide.
Que faire autour de Tanger ?
Les grottes d’Hercule
Plusieurs excavations naturelles, dont l’ouverture de la principale représente une carte de l’Afrique, composent les grottes d’Hercule. L’entrée ne coûte que 10 dirhams ! Il est possible de s’y rendre avec la ligne 2 du bus touristique, ou en grand taxi.
Mais qu’est-ce que le nom d’Hercule, héros grec, vient faire là ?
Dans la mythologie grecque, Héraclès, Hercule pour les romains, doit accomplir une série de douze travaux. Après avoir volé le troupeau de bœufs du géant Géryon, et tué celui-ci, Hercule doit rapporter des pommes d’or du jardin des Hespérides. Mais même un héros grec, ça se repose ! Et c’est ce que fait Hercule, dans les grottes qui deviendront les grottes d’Hercule.
Le cap Spartel
Le cap Spartel se trouve à l’angle entre la mer Méditerranée et l’océan Atlantique. La végétation abondante témoigne des conditions météorologiques clémentes de la région.
La parc Perdicaris
Moins éloigné de Tanger que le cap Spartel, le parc Perdicaris est lui aussi accessible à partir de la ligne 2 du bus touristique, mais aussi avec la ligne 5 du bus commun. Ce parc de 67 hectares porte le nom du milliardaire gréco-américain Ion Perdicaris, qui l’a aménagé sur sa propriété. Mais tout ne se passa pas comme prévu pour Ion Perdicaris.
Le 18 mai 1904, il est kidnappé avec son fils par Raissouli, un pirate dont on reparlera dans un prochain article. Ce dernier réclame une grosse rançon et des avantages en échange de la libération de ses prisonniers. Mais Ion Perdicaris étant citoyen américain, cet enlèvement entraîne l’intervention des Etats-Unis d’Amérique. Enfin, il était citoyen américain. Car en effet, le jour de son enlèvement, cela faisait quarante ans que Ion Perdicaris avait abandonné sa citoyenneté américaine ! Mais le président Roosevelt voyait dans cette opération de secours un moyen de démontrer la puissance de son pays et de détourner l’attention des électeurs, juste avant les élections pour un éventuel second mandat. Finalement, les six navires envoyés ne firent pas feu et Raissouli obtint sa rançon et vit ses exigences assouvies.
Le mot de la fin
En ne visitant que la médina, on oublierait que Tanger est une grande métropole de plus d’un million d’habitants ! La médina a longtemps été un endroit de rencontre réunissant des personnes de nombreuses nationalités. Elle a su garder cette ambiance, que l’on retrouve dans la rue principale avec ses cafés, mais aussi avec la proximité de l’Espagne, que l’on aperçoit de l’autre côté de la mer. Si j’ai beaucoup apprécié de visiter la médina, je suis curieux quant à la ville nouvelle, que je n’ai pas eu le temps d’aller visiter : l’ambiance doit être complètement différente, mais permettrait d’avoir un meilleur aperçu de la ville.